Commençons par un aveu : quand l’Oreille tendue décide de se pencher sur une expression de la langue familière québécoise, c’est généralement en fonction de deux critères. Cette expression lui est familière, par exemple à cause de son écosystème linguistique familial (premier exemple, deuxième exemple), ou bien il s’agit de mots qu’elle pratique abondamment (les sacres, notamment). Il est très rare que l’Oreille aborde des aspects de la langue qui lui sont étrangers.
À la demande populaire (n = 1), elle abordera aujourd’hui les mots shire / chire et shirer / chirer, bien qu’elle ne les ait jamais prononcés et qu’elle n’ait pas l’intention de le faire.
Ce qui chire n’est plaisant ni auditivement ni automobilement : cela tourne à vide et fait du bruit.
«Pendant que dehors le camion virait, chirait et tonnait sur la 133, en dedans les éléments se mêlaient et se démêlaient, les membres de disloquaient, les tissus de déchiraient ou se compressaient» (le Basketball et ses fondamentaux, p. 78).
«j’ai roulé en ligne plus ou moins droite et sans trop quitter la chaussé glacée, rien qu’une fois dans une courbe j’ai chiré, viré sur un parterre» (Frank va parler, p. 136).
«Quand j’entends devant ma maison les roues d’un véhicule qui shire, le son aigu d’une mécanique qui tourne à vide, je regarde dehors et me demande si quelqu’un a besoin d’aide» (J’étais juste à côté, p. 159).
(On notera l’attraction mutuelle entre chirer et virer.)
Cela concerne toutes sortes de moyens de locomotion, avec ou sans bruit désagréable : voiture et camion (ci-dessus), vélo (Des histoires d’hiver […], p. 163), avion (Miniatures indiennes, p. 54), voire cheval et chaussure (la Bête creuse, p. 282 et p. 500).
Au sens littéral comme au sens figuré, qui shire (verbe) fait ou part sur une shire (substantif).
«Le monsieur à lunettes fumées a pas dit un mot, il a rembarqué dans sa Pontiac et il est parti en faisait une shire» (Des histoires d’hiver […], p. 99).
«J’ai l’ai goût d’partir su’une chire jusqu’en deux mille cinquante» (J’ai bu, p. 57).
Quand une conversation dérape, ce n’est jamais bon signe : «Et c’est là que ç’a chiré» (le Chemin d’en haut, p. 27).
La chire peut aussi désigner une chute ou une embardée.
«On dirait pas que j’ai juste vingt-cinq ans, et en même temps c’est comme si c’était hier que je becquais mes bobos aux genoux après une chire en bicycle» (Autour d’elle, p. 43).
«Prendre une chire. Culbuter, tomber, faire une embardée» (Trésor des expressions populaires, p. 85).
À votre service — mais essayons de ne pas en faire une habitude.
Références
Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.
Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.
Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.
DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.
Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.
Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.
Messier, William S., le Basketball et ses fondamentaux. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 12, 2017, 239 p.
Nicol, Patrick, J’étais juste à côté. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 176, 2022, 192 p.
Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.
Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.
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